Bitâcora de textos y notas varias

lundi 1 septembre 2008

De la disponibilité des noms: A history of violence

A history of violence, David Cronenberg, 2005

Bien que le dernier film du réalisateur canadien David Cronenberg ait suscité des avis partagés, il est évident que cette « histoire de violence » se veut une réflexion sur un phénomène qui heurte l’ensemble de la société. Si celle-ci se voit ainsi remise en question, c’est parce que c’est dans l’individu qu’elle trouve son fondement et sa finalité. Malgré le ton un peu hollywoodien que l’on pourrait déceler dans ce film, il est intéressant de commenter certains moments du « récit cinématographique » qui permettent de réfléchir sur quelques problèmes majeurs.

Le résumé de l’histoire est simple : Tom Stall, homme paisible de Millbrook, en Illinois, tue deux assassins dans son café, en état de légitime défense. Quand son visage est diffusé dans tout le pays, il est reconnu par Fogarty, maffieux de Philadelphie, qui vient réclamer vengeance pour son œil perdu et les blessures que lui a faites Tom Stall par le passé. Ou plutôt Joey Cusak. En effet, ce sera le sujet du film, cet homme « parfait », père de deux enfants, excellent mari, se révèle être un ancien meurtrier. Points forts de cette intrigue, trois scènes peuvent servir de support à l’analyse comparatiste.

La première a lieu à l’hôpital, où se trouve Stall après la fusillade où Fogarty tombe sous le coup de feu de Jack, le fils de Stall. Edie, sa femme, lui demande s’il est bien ce « Joey » que semble connaître Fogarty. Comme la réponse est positive, la certitude qu’elle avait d’être mariée à un homme intègre (c’est-à-dire « non-divisible », un in-dividu) s’effondre. Se révèle alors en elle, et entre eux, une fissure qui semble irréparable : comment habiter avec cet homme parfait jusqu’alors, mais qui dévoile tout à coup un passé insoupçonné, lors de deux fusillades qui sont comme l’écho in absentia de tout ce qu’il a pu commettre dans une autre vie ? Cependant, le plus difficile à supporter pour elle, est l’effondrement de sa propre identité, car elle apprend que son nom actuel est faux. Ou pas entièrement vrai.

—Et le nom ? Il est même pas à toi ! Où l’as-tu obtenu ?

— Je l’ai tout simplement pris. Il était disponible (« It was available »).

Ainsi Edie perd tout repère, puisqu’elle ne possède que le vide entourant cet homme nouveau - vide qui le départit de ses qualités « intrinsèques » et qu’à présent elle est obligée de partager aussi. Pour devenir ce qu’il est (était), Joey a dû « tuer » l’Autre en soi. Ou plutôt accepter que l’altérité, l’Autre (dont le nom d’adoption est Tom Stall), le déplace au point de ne plus être « présent » lui-même, de ne plus être Joey.

—« Ca m’a pris trois ans dans le désert pour le tuer. Je croyais qu’il était mort, Joey »

Sauf qu’à travers cette scène, et là se fait jour un autre chantier exploré par le film, on passe à la mise en fiction de ce qui pourrait être nommé « la Possibilité de la Puissance » (comme pur possible) au sein de l’expérience humaine. En effet, rien n’a empêché la « mutation » ( meurtre d’après les mots du personnage lui-même...) de Joey Cusak en Tom Stall. La distance spatio-temporelle, ainsi que la « disponibilité » de(s) nom(s), permettent que cet être partagé ou hybride soit là où il le décide [1] .

Or la violence, comme pure « arrivance » ou comme fêlure de la continuité, ouvre l’espace d’une attitude violente et incontrôlée qui s’empare de l’individu, le brise et le rend incapable de rester dans l’unité (mais la violence ouvre aussi la possibilité de son pendant : que Stall se soit trouvé tout entier plongé dans la violence lui permet d’être davantage maître de lui-même que les autres face à la violence. Sachant ce qu’elle rapporte - c’est-à-dire rien -, il préfère l’éviter à tout prix - ou presque...).

Passons à la deuxième séquence liée à cette « ouverture » de la violence qui nous intéresse ici. Quand Stall tue les road killers, il ouvre involontairement le Portail du Passé. Par cet interstice, les spectres apparus pour se venger vont déstabiliser sa vie. Dans le regret de la violence inaccomplie, le spectre de Joey dit à Fogarty : « J’aurai dû en finir avec toi à Phili [Philadelphie] ». A travers cet aveu, Stall laisse entendre que, pour être insoucieux du Passé, il faut en finir totalement avec lui. Cette affirmation, si on en généralise l’application, peut paraître très choquante, voire être perçue comme une horreur historique : pour accéder à une nouvelle temporalité « ordinaire » (être autre), il faut effacer tout ce qui peut faire revenir ce qui est « désagréable » ou « incompatible » avec cette temporalité. Sinon, on risque de bouleverser le présent (l’espace et le temps nouveaux) et par conséquent le futur. Un tel constat remet en cause toute idée inhérente à l’héritage, et implique non seulement que le lien du sang, mais aussi que le lien avec Soi puissent être rompus au profit d’un autre, celui que l’individu choisit.

Poursuivant cette logique, Joey assassine son frère. Cet acte accompli, il scellera pour de bon son passé, anéantira tout lien du sang, effacera son premier « héritage », le tout pour rester dans les limites « normatives » de la société (qu’il avait transgressées auparavant). Il faut noter que ce que Joey exécute n’a lieu qu’après le refus de Fogarty et de Richie de le laisser tranquille au sein de sa nouvelle vie.

Pour finir, analysons la scène qui clôt de manière emblématique le film - et ouvre sur une réflexion que doit poursuivre le spectateur.

Lorsque Joey/Tom rentre de Philadelphie, raturant de la sorte tout lien possible avec le passé, sa famille est en train de dîner. Assis à table, silencieux, les trois membres de la famille le voient arriver. Sa femme, qui hésite entre son amour déçu et le dégoût envers l’assassin, ne bouge pas, de même que son fils, qui vient d’entrer dans l’adolescence. Seule la benjamine fait un geste : elle va chercher une assiette afin qu’il puisse prendre place à table parmi eux. Comme « contraints » à leur tour par cet acte inattendu, le fils approche le potage, et la femme sort de son enfermement en le regardant enfin. C’est ainsi que le film s’achève, laissant de multiples questions sur ce qui va ou ce qui peut se passer en suspens, questions qui nourriront et enrichiront le débat :


Que faire du passé violent de l’autre ?
Que faire de l’Altérité « problématique » de l’autre ?
Que faire de la violence ?
Que faire de la société elle-même qui se fige dans des structures fixes (et dont on connaît bien les réticences à tout changement qui puisse affecter son essence et, par conséquent, remettre en question son identité - et son pouvoir) ?
Que faire du choix des hommes vis-à-vis de l’héritage à transmettre -ou à ne pas transmettre-, et qui ne relève jamais d’un quelconque héritage biologique ?
Que faire, en résumé, face aux crises que la violence produit au sein de la société, qui obligent à repenser les formes d’interaction ainsi que les liens entre les « individus » ?

Si le réalisateur ne donne pas une réponse, on peut penser qu’il met l’accent sur le rôle des plus jeunes, sur ceux qui peuvent encore avoir un regard naïf ou vital sur l’existence.

Pour appuyer cette lecture, je voudrais rappeler la fin du film Nobody Knows du japonais Kore-Eda Hirokazu, qui raconte un fait divers japonais [2] . Vers la fin du film, l’aîné a dû enterrer le corps de sa sœur, pour s’en défaire, près de l’aéroport. Plus tard, dans la rue, il entend un avion qui le renvoie au souvenir de la mort et de son fardeau. Lorsqu’il est sur le point de sombrer dans la folie, son frère le tire par la main. Grâce à la force de son sourire, il le ramène à « la réalité », à la vie, bien que douloureusement.

Par le choix d’une fin ouverte, les deux réalisateurs parient sur une catharsis et une réflexion, dans l’après coup. Il n’est pas dans leur intention d’expliquer ce qu’il faut faire dans ces situations limites. Sans doute en sont-ils incapables. Mais de la mise en forme de ces problématiques, de ce qui peut encore unir les êtres-en-société, il résulte une expérience individuelle et collective à explorer.


Notes :

[1] Il nous semble que dans ce film il n’est pas question de réflechir sur cette seule personne, mais de montrer l’ouverture infinie de l’individu au sein d’une société quelconque. Et s’il n’y avait pas eu cette violence première exercée à son encontre dans le café, il aurait sans doute fini sa vie en paix, en étant jusqu’à la fin le même et le seul Tom Stall

[2] Une mère abandonne ses enfants, qui survivent quelques mois avant que l’un d’entre eux ne meure

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