Bitâcora de textos y notas varias

mardi 23 septembre 2008

Editions Calamus : deux livres

Lancée il y a environ vingt ans par le peintre Rufino Tamayo, poursuivie et financée par Francisco Toledo (un autre grand plasticien né dans le même état), la vie culturelle dans la capitale de Oaxaca est, à ce jour, l’une des plus actives du Mexique. Grâce à plusieurs activités culturelles : expositions d’arts plastiques, création, édition et diffusion littéraires, séances de cinéma d’art et d’essai, salons du livre ou de rencontres, il n’est pas difficile de penser que l’ambiance de Oaxaca de Juárez traverse l’un de ses meilleurs moments - sans doute son meilleur moment - jusqu’à aujourd’hui.
Malgré les nombreuses conditions adverses que les gens d’Oaxaca, les “oaxaqueños”, ont dû et doivent toujours affronter (mauvais gouvernements, paupérisme, faible niveau éducatif, problèmes sociaux qui ont même produit de violents accrochages entre la population et les forces de l’état en 2006 et 2007), les directeurs de musées et de centres culturels, les éditeurs, et les créateurs en général, ont semé leurs graines - et avec des résultats.
L’une d’elles provient des éditions Calamus. Ce projet prolonge les disparues « Ediciones Toledo », créées par le peintre homonyme. Dirigée par Ernesto Lumbreras et coordonnée par Luis Manuel Amador, cette jeune maison d’édition aura bientôt publié une trentaine de titres en presque trois ans de vie. La maison d’éditions Calamus est née du souhait de fournir aux lecteurs mexicains une liste d’œuvres de qualité soigneusement imprimées -à un prix accordé au niveau de vie du pays (les livres coûtent 6€ environ). Dans son cahier de route, l’édition Calamus s’est aussi imposé de privilégier la poésie dans son catalogue - sans délaisser pour autant la narration ou l’essai.
Afin de donner une idée du travail qu’ils sont en train de faire, je vais retenir de la trentaine de titres déjà publiés ou en cours de publication [1], deux livres, pour les commenter.

Trois pierres devant la rivière
,
d’Efraín Bartolomé

Ce livre de poèmes, auquel l’auteur essaie de donner une certaine homogénéité, est composé en deux temps énonciatifs distincts - et cela, bien que le livre soit constitué de trois sections, trois passages différents.
Le premier recueil unitaire, “Réquiem por la muerte de Doña Celina”, mère de l’auteur, a une ritournelle qui rappelle le refrain du “novenario”, recours temporel dont se sert l’écrivain pour situer dans le temps et l’espace le plain-chant de douleur. Une douleur qui, dès le début, tente de rester sourde, comme le portail de la maison, aux coups qui viennent apporter la mauvaise nouvelle pendant la nuit :

[...] en mi casa llaman
con una piedra enorme que golpea
iracunda

contra el portón (p 11)


Ainsi, à travers le langage poétique, Efraín Bartolomé essaie de conjurer la tristesse qu’implique la perte de la mère, la perte d’un lien qui l’attachait si fortement à tout ce qui symbolise son passé (arbres de fruits, plantes, jardins), tout autant que son présent. Ce travail de deuil se fait chez les gens qui souffrent avec lui, avec sa famille, à cause de la disparition d’une femme dont l’existence semblait être par beaucoup appréciée.
A partir de cette douleur, donc, Efraín Bartolomé lutte avec les mots pour trouver le lieu où le deuil s’arrête, où on peut commencer à dire adieu aux vivants et vivre ainsi avec la mémoire des morts. Et de la douleur, de la répétition qu’instaure le rythme de la prière none, l’auteur reprend aussi le refrain, la consonance et la rime récurrente à la fin des vers. Or, à notre avis, cet élément formel, malgré l’unité qu’il donne à ce recueil tout en le différenciant des deux suivants, ne dépasse pas tout le temps son caractère de tentative (par exemple dans le poème « Escribo en el corredor que mira al sur »).
Lorsque le poète dépasse cet inutile souci formel, lorsque le vers, malgré sa forme rigide, comme dans le cas du sonnet de la page 22, trouve un élan différent, à ce moment là l’artifice disparaît et laisse place à un autre rythme, unique :

Se suelta en la alta noche un aguacero duro,
nutrido, intenso, emponzoñado,
que con violencia furia ha destazado la oscuridad,
mi llanto, mi sombrero.

No deja trabajar el carpintero que me da
un martillazo en el costado.
Llanto y lluvia a la par me han empapado
y ahora soy del dolor abrevadero.

Lluvia y llanto.
Pronto se hace claro que uno es todo.
Que eras tú la casa y el jardín y los pájaros.
Me paro : platico con mi sombra.
Hay algo raro : ya no saben igual café y hogaza.

Y me inyecta su tinta el desamparo.


Le lecteur attentif reconnaîtra les vers de la version originale. Si j’ai modifié leur disposition, c’est pour mieux montrer à quel point la quête des formes fixes dans la poésie contemporaine peut être creuse, formelle, et limiter la souplesse de l’écrivain, en pénalisant le lecteur qui n’arrive à saisir qu’une partie réduite de ce savoir recherché que les vers sont censés transmettre.
De la même façon, dans les autres livres du recueil, ici et là apparaissent à nouveau des rimes qui tombent comme une béquille, sonorités dépourvues de sens. Cependant, dans la deuxième partie le vers devient beaucoup plus léger et souple. Il peut être, selon les besoins du poème, aussi large que le verset ou aussi court que le haïku. Le rêve, la forêt, les pyramides et la cosmogonie préhispanique, le voyage, entre autres, constituent les thèmes de « Toniná » et « Wawona tree ». Au milieu de ces vers-sujets on peut enfin percevoir la voix du poète, qui

se escucha un grito largo como un vuelo en las sombras : como un rayo en el cielo del silencio

Pareil à une branche qui balaierait les nuages et produirait un faible craquement de feuilles froissées, Efraín Bartolomé réussit à allumer un petit feu poétique. Au vu de ce contraste entre la première et la deuxième partie, on peut regretter que le livre ne possède pas davantage de sections libres. Mais en même temps, on songe à lire la suite, et ce serait avec plaisir que le lecteur s’adonnerait à une telle tâche. Reste à savoir dans combien de temps Bartolomé se décidera à publier un nouveau livre, car ce Tres piedras frente al río a demandé dix ans d’écriture.


La vida continua/Puerto oscuro,
,
de Mark Strand,

D’un autre côté, et avec une poétique assez différente, on trouve Mark Strand, un poète états-unien, dont les œuvres ont été publiées et souvent traduites dans d’autres langues.
Dans le livre publié aux Editions Calamus, composé des recueils « La vida continúa » et « Puerto oscuro », on trouve une utilisation intéressante du langage. En effet, il y a une tendance à saisir les mots dans leur signification première, dans le sens qu’ils pourraient avoir lors d’une causerie mondaine. Grâce à cette technique, si chère à T.S. Eliot, Strand dépasse l’usage quotidien de la langue, va au-delà, dans le but de trouver un point de repère ironique. Au passage, il tord et le sens et son (ses) point(s) de vue sur le monde, dont les conséquences touchent aussi la voix poétique.
De tout le livre, il me semble que l’atout majeur est, sans doute, l’ironie. Une ironie non dépourvue d’une confiance (presque) aveugle dans la poésie, dans la perception poétique que l’on peut avoir du monde, tout en sachant à quel point le monde est, sur terre, la chose la plus ordinaire.
On perçoit par exemple une ironie formelle dans sa manière de « raconter » une histoire sans queue ni tête. En effet, on pense immédiatement à une prose, à un récit très dense et narratif. Or, il se trouve que le résultat n’est ni l’un ni l’autre, ni de la poésie ni de la prose. Il est question de toute autre chose, d’un détournement que mystifie la vie quotidienne en même temps qu’il l’achève sans pitié.
Strand ne réussit cependant pas toujours à dépasser cette tension entre deux pôles opposés et, il faut le dire, il serait périlleux qu’il y parvienne : une telle tension accumulée dans un seul texte serait le rêve de tout « poète ». Or, comme il est de plus en plus évident dans le monde de la poésie contemporaine, la difficulté n’est pas dans la forme, mais dans ce qui est placé comme le noyau, comme le moteur et but ultime du poème : dans l’histoire de la littérature, l’homme n’aura jamais été autant placé au centre de toute création comme son origine et sa totale négation. Annulé de la sorte, on ne doit pas s’étonner que la poésie contemporaine manque tout simplement de fondement.
Sans plus aucune transcendance, les écrivains contemporains (je pense aux plus « jeunes », c’est-à-dire, ceux qui sont nés à partir des années 50) ont du mal à trouver un souffle vraiment « fort ». Les rares poètes qui dépassent cette impuissance ancrent leur écriture dans la vie quotidienne de l’homme, sans trop croire dans la Langue - tout au plus dans le langage. Le poème « La historia de la poesía » (de « La vida continúa ») en est un parfait exemple, car Mark Strand y reprend les Elégies de Duino (texte majeur de la poésie du début du XXe siècle). Dans cette sorte d’aveu, Strand concède non sans tristesse qu’aucun de nous (ninguno de nosotros), même pas les maîtres eux-mêmes, ne serait capable de reconnaître « el sonido corpóreo del cielo o el sonido celeste / del cuerpo, infinito y perecedero, que afinaron / nuestros días antes de despojar de su poder / a las estrellas giratorias ». Ainsi, interdits d’ouïe et de voix, les poètes se contentent de « contar los árboles, las nubes, / los poco pájaros restantes », mais surtout, ils se résignent à penser que, « cuando decidimos / no ser demasiado duros con nosotros mismos, / que el pasado no fue mejor que el presente ».
Autrement dit, le poète s’acharnerait à faire en sorte que le langage parle avec la complexité des sujets qui nous composent : le regard et l’expérience de la sexualité (poème XXII du « Puerto Oscuro), le poids du passé vécu à travers les autres (poème XXX du même livre)- en résumé, la douloureuse simplicité de l’homme moderne que nous expérimentons :

Vivir aquí supone cierta trivialidad, una ligereza, una monotonía cómica que uno intenta mermar con muestras de energía, con cierta devoción hacia las veleidades del deseo ; [...] Desde el otro lado, nadie asoma hacia acá.

Parier sur la poésie semble, de nos jours, un acte déplacé. Pourtant, c’est ce qu’il nous faut, et c’est sans doute aussi pourquoi les Editions Calamus misent sur elle, et plus largement, sur la diffusion de la bonne littérature. A suivre.



[1] Parmi les auteurs étrangers, on trouve Seamus Heaney (prix Nobel), Antonio Gamoneda (prix Cervantes), Fernado Pessoa, José Manuel Ullán et André Pieyre de Mandiargues ; parmi les auteurs mexicains, le catalogue compte plusieurs primés avec les distinctions les plus importantes dans le domaine de la poésie (Bartolomé) ou du conte (Samperio). On peut avoir un large aperçu des titres sur Internet à l’adresse citée ci-dessus

Libellés :

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil