Bitâcora de textos y notas varias

jeudi 25 septembre 2008

Les chienneries de Bellatin Mario

Mario Bellatin, Jakob le mutant suivi de Chiens héros, France, Editions Passage du Nord/Ouest, 2006.

Le monde littéraire est empli de « boutades », de jeux qui utilisent le principe même de la littérature. Dans le cadre de cette vision critique et moqueuse, il faudrait lire ces deux textes traduits en français de Mario Bellatin. Avec déjà une considérable bibliographie, l’auteur de Salon de beauté (finaliste du prix Médicis en 2000) s’essaye une nouvelle fois à engendrer des êtres qui ne sont pas réels, malgré toutes les « références historiques », malgré la production de vrais documents photographiques inclus dans le livre.
« Jakob le mutant » et « Chiens héros » sont donc deux sortes de mensonges, de dérisoires canulars, contre lesquels le lecteur bute et rebute à cause du style captivant du mexicano-péruvien. Mais que l’on soit étonné ou non par la thématique et le traitement bellatiniens, on ne peut pas rester indifférent à la proposition vraiment contemporaine qu’on trouve dans ces textes. Comme il l’avait déjà montré dans deux ouvrages, publiés auparavant dans la même maison d’édition, Shiki Nagaoka et Le jardin de la Dame Murakami, où il était question de faits très peu véridiques, ce qui a lieux dans « Jakob le mutant » et « Chiens héros » résulte tout simplement de l’impossible. Loin de chercher les repères logiques, qui permettraient ensuite de parler de la « vraisemblance du récit », Bellatin creuse dans le sens opposé : en fictionnalisant ces impossibilités « expérientielles », il soulève le problème que poseraient de telles existences, si jamais elles étaient authentiques.
Quant à la première nouvelle, « Jakob le mutant », elle essaie de reconstituer La frontière, un vrai faux roman écrit par Joseph Roth. Triangle amoureux, alcoolisme, écriture, réincarnation, tous les éléments d’un roman « ordinaire » sont présents. Or, de cet amas de « banalités » thématiques, Bellatin crée un récit délirant. Grâce à des personnages parfois décousus, parfois trop réussis, il dévoile ainsi le lieu même de la littérature. La compréhension qui naît pendant l’acte de l’écriture (comme l’avait déjà éprouvé et expérimenté Clarice Lispector avec A hora da strella et la « création » sur le champ de son personnage, sans savoir où elle allait aboutir ni quand s’arrêter dans son récit), cette compréhension n’est pas égale à l’acte de lecture, bien que l’auteur du récit accomplisse les deux actions en même temps :

Quand son épouse Julia le laissait seul dans le lit pour s’occuper de la taverne avec le jeune Anselm, il roucoulait en écoutant le tic-tac d’une vieille pendule. À de tels moments, il recréait mentalement le chant avec lequel toutes les mères orthodoxes, au moins jusqu’au XVIe siècle, endormaient leurs enfants. Un chant millénaire rythmé par le tic-tac de la pendule est peut-être une raison suffisante pour se poser une série de questions : où Jacob Pliniak était-il allé chercher cette pendule qui le faisait roucouler quand sa femme le laissait seul ? Et si on commence à se poser des questions de ce genre, pourquoi son épouse s’était-elle à ce point obstinée, dans sa période d’infidélité, à laisser des indices révélant sa liaison avec le jeune Anselm ? D’un autre point de vue, il serait bon de s’interroger sur le lien entre l’intérêt porté par Jacob Pliniak aux pogroms et son impossibilité de faire des enfants. Il s‘agit de questions qui ne trouveront peut-être jamais de réponses, même si le reste du récit peut éventuellement y aider (pp 41-42)

Le doute et l’ironie mêlés réduisent toute possibilité d’assertion ultérieure. Ce qui ne peut pas être affirmé ne peut pas être, ne peut pas exister. Que faire alors, sinon tout lire et aller jusqu’à la fin des phrases et des périples absurdes -ô combien absurdes - de ces personnages par trop humains ?

Et, par ailleurs, que penser de « Chiens héros » ? En indiquant dès le début que le souci du sens et de la signification seront l’axe central du livre, tout le récit doit être lu non seulement comme une possibilité narrative exceptionnelle, qui exige le brouillage de repères cognitifs actuels (valeurs réelles des documents de témoignage, de l’entretien, de l’image photographique elle-même), mais aussi comme la réussite d’une ironie perçante qui exige le total détachement du lecteur et, en même temps, une adhésion sans limites. Sinon, comment ne pas jeter le livre après la troisième « invraisemblance », après le troisième "coup" d’ironie de la part du narrateur ?
La ténacité du lecteur, il faut le dire, sera récompensée par une bonne dose d’humour noir, presque aveuglant. A chaque fois qu’on est convaincu d’être enfin devant un récit plus ou moins classique, Bellatin fait un brusque virage. Du coup, le déroutement et l’absurde pur s’installent et on ne peut plus échapper à leur emprise. Sur quoi ? Sur la distance qu’il faut prendre une fois le livre fini ; distance avec l’histoire, avec le personnage, avec les affirmations qui y sont faites (l’avenir de l’Amérique Latine). Prendre une quelconque situation au sérieux montrerait que nous sommes tombés dans le piège. Ne pas se demander quel lien il peut bien y avoir entre les deux éléments enchaînés dans la narration ce serait échapper à une écriture provocatrice qui s’évade d’un souci de réalisme, d’une narrativité classique afin de faire « une histoire », à la manière classique, tout en (dé)montrant que l’auteur sait raconter précisément « une histoire », créer un récit. De la fiction à « notre lecture », à notre réalité, le décalage entre absurde et non-absurde semble infranchissable.

Alors, faut-il lire ou non ces nouvelles ? Bien évidemment, mais le faire de manière attentive, presque comme on croit aux choses les plus anodines, en ressentant une terreur cachée, une possibilité que nous ne finirions jamais de concevoir, de voir, de percevoir, d’accepter en tant que possible. Si la réponse à la question « est-ce qu’un monde pareil est possible ? » était affirmative, nous aurions intérêt à lire les choses autrement, puis, à concevoir nos expérience quotidiennes différemment, dans l’éclatement et l’extériorité de l’absurde. « En aboyant », par exemple.

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