Bitâcora de textos y notas varias

samedi 13 décembre 2008

Cent ans de littérature mexicaine

Philippe Ollé-Laprune, Cent ans de littérature mexicaine [avec 27 dessins de la série Volcanes construidos de Vicente Rojo], Paris, Éditions de la Différence, 2007. [Publié avec le concours du Conseil National pour la Culture et les Arts (CONACULTA/FONCA), la Fondation pour les Lettres Mexicaines (f,l,m.) et l’Ambassade de France au Mexique]

L’année dernière, avec le concours d’institutions culturelles mexicaines et l’Ambassade de France au Mexique, les Editions de la Différence ont publié un ouvrage majeur qui comble un vide dans le panorama de l’édition française. Il s’agit de l’anthologie critique Cent ans de littérature mexicaine. Comme le signale l’auteur, Philippe Ollé-Laprune, dans sa brève mais concise introduction au volume, la littérature mexicaine était assez peu connue en France jusqu’aux années 80, voire le début des années 90. Un parcours rapide des ouvrages traduits en français jusqu’à cette période, montre à quel point la connaissance réelle des auteurs mexicains par les lecteurs francophones se réduisait à de rares recueils de poésie (Poèmes [1960] de Jaime Torres Bodet), ou des romans (Pedro Páramo [1978] de Juan Rulfo [1918]), et surtout à des échantillons publiés dans des revues.

Quelques parutions significatives apparaissent ici et là, dans des dossiers dédiés à toute l’Amérique Latine. Ainsi des auteurs mexicains ont été publiés dans des revues comme Europe [octobre 1958], Les lettres nouvelles [juillet 1962] ou le Magazine littéraire [septembre 1979]. Curieusement, c’est le domaine de la poésie qui est la plus représenté. En effet, jusqu’à la fin des années 80 quatre anthologies ont vu le jour : l’Anthologie de la poésie mexicaine [1951] préparée par Octavio Paz ; en guise de suite à ce travaille, Jean-Clarence Lambert réalisa deux anthologies : Les Poésies mexicaines [1961] et la Poésie du Mexique [1988] ; enfin, Claude Beausoleil prépara et publia au Québec La poésie mexicaine ([1989].

Dans le domaine du récit bref, La nouvelle contemporaine au Mexique [1995] fait office d’oiseau rare. Présentée par Louis Panabière, alors que la coordination et la révision des traductions ont été faites par Florence Olivier, cette sélection de vingt-trois auteurs permet une approche solide de ce qui était en train de se faire alors au Mexique.

Quoique la qualité de ces ouvrages soit indéniable, il était nécessaire d’offrir un panorama plus large contenant tous les genres.

Mais avant de commenter quelques aspects des Cents ans de la littérature mexicaine, il faut sans doute mentionner un autre biais par lequel le lecteur français a pu connaître les auteurs mexicains : celui des festivals et de rencontres. Pionnière dans ce domaine, on peut nommer les Six journées de culture mexicaine (organisées par le Centre culturel du Mexique et le Centre Georges Pompidou à Paris en 1981). Plus récemment Les belles étrangères [1991], le festival La CITA (Des Cinémas Et Cultures D’Amérique Latine) de Biarritz, et surtout le Festival bisannuel AMERICA (qui, à ce jour, inclut des auteurs originaires de l’Amérique du Nord : le Mexique, les Etats-Unis et le Canada, et Cuba). Or, malgré l’effort récent de publier des recueils poétiques au Québec, et en France des récits (par exemple, la traduction du Disparo de argón [Le maître du miroir] de Juan Villoro), la vision en France (et dans le monde francophone) de la littérature mexicaine restait fragmentaire - voire affaire de spécialistes.

En ce sens, le travail de Philippe Ollé-Laprune est remarquable, non seulement de par son amplitude (un siècle), mais par le choix des auteurs inclus dans l’ouvrage. En effet, il n’a pris en compte que des écrivains ayant une place assurée dans le panorama de l’histoire littéraire du Mexique : « Nous avons privilégié, dit Ollé-Laprune, les auteurs déjà reconnus, sans nous laisser aller à spéculer sur des œuvres en construction, dont on ignore encore la portée réelle » (p 8). Autrement dit, que l’on apprécie telle esthétique ou époque - ou non, tel auteur ou groupe - ou non, on est certain de trouver dans cette anthologie des textes de qualités traduits avec autant de soin ; ensuite, il ménage un parcours brièvement mais efficacement présenté, où les parties chrono-thématiques jouent un rôle organisateur important.

La difficulté d’une telle entreprise, on peut l’imaginer facilement, était de connaître parfaitement la littérature mexicaine et d’en avoir un regard détaché. Le but ? « Proposer une vision équilibrée de la littérature du siècle passé qui rende justice à des courants artistiques ou esthétiques distincts, voire opposés, et dont la richesse réside justement dans la diversité des points de vue sur la création et les formes littéraires » (p 7). Ici, toutefois, nous devrons nous restreindre à ne donner que quelques noms.

Dans le très large choix que propose l’ouvrage, nous trouvons extrêmement positif que l’on puisse faire la connaissance de Julio Torri [1889] ou de Gilberto Owen [1904], écrivains remarquables de la première moitié du XXe siècle ; ou que l’on apprenne l’existence d’une avant-garde spécifiquement mexicaine et dont le manifeste vit le jour en 1921 : l’« Estridentismo ». En suivant un fil plus ou moins chronologique, toujours dans cette première moitié du siècle dernier, le lecteur fera le tour des auteurs « classiques » : le groupe des « Contemporains » ; les romanciers de la révolution ; des poètes comme Jaime Sabines [1926] et Luis Cardoza y Aragón [1901]; des romanciers comme Juan Rulfo [1918] et Agustín Yáñez [1904].

Parmi les auteurs de la deuxième moitié du siècle, les lecteurs français trouveront intérêt à découvrir les romanciers Vicente Leñero [1933], Jorge Ibargüengoitia [1928] ou Fernando del Paso [1935]; le dramaturge Rodolfo Usigli [1905], ainsi que le poète Efraín Huerta (né la même année que deux autres grands auteurs : Octavio Paz, et José Revueltas), père de celui que l’on considère comme le meilleur poète de sa génération : David Huerta [1949].

Elena Garro [1917] mérite une mention à part, romancière [Los recuerdos del porvenir 1963], dramaturge [Un hogar sólido, 1958] et conteuse [La semana de colores 1964], dont les trois premiers livres comptent parmi les plus importants des années 50 et 60.

Outre l’enfant maudit des lettres mexicaines des années 60, auteur de Farabeuf, Salvador Elizondo [1932], on peut aussi découvrir un auteur « culte » : Juan Vicente Melo [1932]. Tous deux appartenaient avec Juan García Ponce [1932] ou Juan José Gurrola [1935], entre autres, au groupe connu comme la génération du Lac (Generación del Lago), et qui marque le tournant de l’écriture contemporaine (on fait souvent un parallèle entre le nouveau roman et ces écrivains).

Dans un autre style, et bien que les lecteurs français soient habitués à la lecture de romans ou nouvelles policiers, c’est avec profit qu’ils découvriront Rafael Bernal [1915]. Longuement délaissé par l’establishement, il n’a été reconnu que très récemment en tant qu’écrivain. Considéré comme l’inaugurateur du genre dans les années 60, Bernal est largement lu et diffusé aujourd’hui.

Dans le domaine de la poésie, un nom incontournable : celui de Gerardo Deniz [1934] (de son vrai nom Juan Almela). Immigré espagnol lorsqu’il était enfant, il est surtout connu comme poète, bien qu’il ait écrit aussi des nouvelles d’une qualité remarquable.

Quant à la littérature la plus récente, il est difficile de faire un choix. Le titre choisi par Ollé-Laprune en donne une idée : « Le chemin tortueux de la littérature contemporaine ». C’est pourquoi nous n’allons citer que quelques noms : « Enrique Serna [1959] ou Daniel Sada [1953], Jesús Gardea [1939], Rosa Beltrán [1960], Álvaro Uribe [1953] ou Héctor Manjarrez [1945] ». Du côté de « La poésie », le déjà mentionné David Huerta [1949], avec Coral Bracho [1951], Elsa Cross [1946], Eduardo Millán [1952] et deux « Franciscos », Francisco Cervantes [1938] et Francisco Hernández [1946].

Bien sûr, nous ne nommons qu’une partie réduite des auteurs ici présentés. Le lecteur aura tout loisir de feuilleter consciencieusement la cinquantaine de pages qui référencient les ouvrages publiés en espagnol et en français.

Un dernier point que je voudrais souligner, très important par ailleurs, est celui de la diversité des traductions. Comme on peut le découvrir à la fin de chaque texte traduit, Philippe Ollé-Laprune n’a pas souhaité qu’une seule voix donne une version unique de ces textes. Une telle entreprise aurait réclamé, bien sûr, un effort titanesque (traduire plus de 700 pages et presque quatre-vingt-dix auteurs), et aurait du coup considérablement réduit la richesse de nuances inhérente à une telle diversité de styles. Mais cela n’a pas lieu, car le choix de l’auteur a été payant une fois de plus. Parmi bien des traducteurs, qui ont souvent eu des contacts avec des auteurs mexicains ou Latino-américains, on mentionnera au passage Claude Fell, Gabriel Iaculli, Jean Claude Lacarrière, André Gabastou, Claude Esteban, Florence Olivier, Jean-Clarence Lambert et Sophie Gewinner.

Tel un grand chœur, où les voix se détachent en suivant une grande partition, ce livre se donne à entendre - à lire, comme une œuvre collective, avec un but précis :


Comme toute anthologie, ce livre est

un collage qui vise à révéler le sens

et la beauté d’une littérature (p 7).


Philippe Olle-Laprune, il me semble, a tiré son épingle du jeu. C’est au lecteur français, désormais de jouer. La balle est dans son camp.

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